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Une blessure est une blessure ; qu’elle soit physique ou psychique

Le 22 mars 2021, le Tribunal Correctionnel de Dunkerque rendait sa décision dans le cadre d’un accident de la circulation dramatique.

L’occasion, discrètement, mais nettement, de mettre fin à une différence de traitement entre les victimes de blessures involontaires, selon qu’elles sont corporelles ou psychiques.

Il y a un peu plus de deux ans, un chauffeur poids-lourds, en redémarrant son engin, écrasait une petite fille de 8 ans, percutait sa grande sœur de 10 ans (qui, miraculeusement, en ressortait avec de très légères blessures corporelles) et frôlait leur mère qui tenait par la main leur plus jeune sœur de 6 ans.

Plusieurs infractions se cumulaient.

Aucune difficulté juridique quant à la caractérisation de l’infraction d’homicide involontaire de la petite fille de 8 ans.

En revanche, le Parquet refusait de poursuivre le conducteur pour les faits de blessures involontaires commises sur la mère et la plus jeune des enfants au motif que, n’ayant pas subi de lésion corporelle, elles n’étaient pas victimes de blessures…

C’est humainement difficile à admettre et juridiquement faux.

La Parquet ne faisait toutefois qu’appliquer une position classique selon laquelle il n’y a pas de blessures involontaires sans lésion corporelle, marquant par là toute sa défiance à l’égard du traumatisme psychique.

Le raisonnement est simple : ces personnes n’ayant pas été heurtées par le camion sont indemnes sur le plan corporel et ne peuvent donc recevoir la qualité pénale de victimes de blessures involontaires.

Les courriers adressés au Parquet pour lui rappeler l’évolution (déjà ancienne) sur ce même point en matière de violences volontaires et lui demander de procéder à un traitement identique ont été inutiles.

Il était pourtant retracé comment la jurisprudence a évolué pour admettre la qualité de victime à des personnes qui, bien que non atteintes physiquement par l’auteur des violences, avaient malgré tout subi un choc émotif ou une perturbation psychologique.

Ainsi, une personne qui évite de justesse un couteau lancé sciemment sur elle est victime de violences volontaires.

La solution ne fait plus débat et est communément admise.

Alors pourquoi traiter différemment la blessure psychique lorsqu’elle résulte d’un acte involontaire ?

Malgré tout, le Parquet refusait de poursuivre le conducteur pour les faits de blessures involontaires commises sur la mère et sur la plus jeune des enfants.

Une citation directe était donc délivrée au conducteur rappelant que le texte incriminant les blessures involontaires pose, comme unique condition, l’existence d’une incapacité totale de travail.

Le texte ne distingue pas selon que cette incapacité résulte d’une blessure corporelle ou psychique.

Au contraire, ce texte se trouve au sein d’un chapitre du Code Pénal intitulé « Des atteintes à l’intégrité physique ou psychique de la personne  ».

Ainsi, rien ne justifie de traiter différemment la victime selon qu’elle a été atteinte sur le plan corporel ou psychique. Seul le dommage compte. Dès lors que la blessure a entraîné une incapacité totale de travail, sa qualité de victime directe doit être admise et l’infraction poursuivie.

L’Avocat en défense a tenté de dévoyer le raisonnement. Il tentait de faire craindre à la Juridiction qu’en condamnant son client, chauffeur, pour des blessures involontaires alors qu’il n’y avait eu ni contact, ni blessure corporelle, elle ouvrait la voie à l’attribution de la qualité de victime à de simples témoins.

Ainsi, quiconque serait témoin d’un accident grave et en ressortirait choqué pourrait solliciter le déclenchement de poursuites au titre de blessures involontaires.

C’est oublier que la mère et la fille n’ont pas seulement été les témoins du terrible accident qui a tué leur fille et sœur sous leurs yeux, elles ont, en outre, été victimes directes de cet accident en réchappant de peu à leur propre mort du fait de la faute de conduite du conducteur.

La conscience qu’elles ont eue, à l’instant où elles étaient frôlées par le camion, du risque de subir un accident extrêmement grave, potentiellement mortel, a été à l’origine d’une frayeur intense provoquant des lésions psychiques constatées par Expert.

Le fait qu’il n’y ait finalement pas eu contact, ni blessures corporelles ne retire pas cette réalité.

Les Magistrats, d’une phrase, ont fait droit à ce raisonnement, qui découle des textes, et ont reconnu le conducteur coupable non seulement d’homicide involontaire mais également de blessures involontaires sur la mère et la plus jeune des filles qui, pourtant, n’ont été ni touchées par le camion, ni atteintes de lésions corporelles.

Cette solution, classique en ce qui concerne les violences volontaires, est en revanche nouvelle pour les blessures involontaires.

Il faut s’en réjouir.

L’absence de grande argumentation de la part des Magistrats sur ce point montre leur adhésion à une meilleure considération du traumatisme psychique par la Justice pénale et à la fin d’une distinction injuste entre blessures corporelles ou psychiques.

Cela ne change rien à la peine prononcée (seule l’infractionla plus grave étant prise en compte). Quant au sentiment de Justice, ça change tout.

Le chauffeur n’est pas uniquement coupable du terrible décès d’un enfant mais du traumatisme de l’ensemble d’une famille.

Catherine POUZOL
Spécialiste en droit du dommage corporel