Le secret des affaires permet aux entreprises de garder confidentielles certaines informations nécessaires au maintien de leur compétitivité mais ne pouvant bénéficier de la protection spécifique du droit de la propriété intellectuelle.
Le Code de commerce se voit ainsi enrichi de nouvelles dispositions spécifiques (articles L 151-1 à L 154-1) organisant le régime général de protection du secret des affaires.
Il n’entrera toutefois en vigueur qu’au moment de la publication du décret d’application.
De manière schématique, la loi du 30 juillet 2018 définit les informations susceptibles d’être protégées, les comportements illicites et les mesures préventives pouvant être demandées en justice.
1/ Définition des informations susceptibles d’être protégées par le secret des affaires
La loi du 30 juillet 2018 reprend quasiment à l’identique la directive 2016/943 en son article 2 qui conditionne la protection par le secret des affaires d’une information au respect des critères, cumulatifs, suivants :
• l’information n’est pas, en elle-même ou dans la configuration et l’assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d’informations en raison de leur secteur d’activité ;
En d’autres termes, l’information devra être secrète ce qui exclut toutes les informations publiques ou qui sont connues dans le domaine d’activité concerné.
• L’information revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ;
Aux termes de la directive 2016/943, les informations devraient être considérées comme ayant une valeur commerciale, par exemple lorsque leur obtention, leur utilisation ou leur divulgation illicite est susceptible de porter atteinte aux intérêts de la personne qui en a le contrôle de façon licite en ce qu’elle nuit au potentiel scientifique et technique de cette personne, à ses intérêts économiques ou financiers, à ses positions stratégiques ou à sa capacité concurrentielle.
• L’information fait l’objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret.
La loi du 30 juillet 2018 n’apportant aucune précision spécifique sur ce point, il convient d’en conclure qu’à partir du moment où elle respecte les trois critères ci-dessus, une information pourra bénéficier de la protection du secret des affaires peu importe son objet et son support.
2/ Dans quels cas L’obtention et la divulgation d’une information protégée par le secret professionnel seront réputées illicites ?
La loi du 30 juillet 2018 précise, en des termes très généraux, les comportements qui, en l’absence d’accord du détenteur légitime de l’information, seront susceptibles d’être sanctionnés au titre du secret des affaires.
Ainsi, aux termes de l’article L 151-4 du Code de commerce :
« L’obtention d’un secret des affaires est illicite lorsqu’elle est réalisée sans le consentement de son détenteur légitime et qu’elle résulte :
1° D’un accès non autorisé à tout document, objet, matériau, substance ou fichier numérique qui contient le secret ou dont il peut être déduit, ou bien d’une appropriation ou d’une copie non autorisée de ces éléments ;
2° De tout autre comportement considéré, compte tenu des circonstances, comme déloyal et contraire aux usages en matière commerciale ».
Il résulte des dispositions de cet article que l’obtention illicite d’une information protégée par le secret des affaires est à seule répréhensible et sanctionnable et ce, même si elle n’est pas utilisée par celui qui s’est rendu coupable de cette appropriation illicite.
L’utilisation ou la divulgation d’un secret des affaires sera illicite lorsqu’elle sera réalisée sans le consentement de son détenteur légitime par une personne qui a obtenu le secret dans les conditions illicites ou qui agit en violation d’une obligation de ne pas divulguer le secret ou de limiter son utilisation (C. com. art. L 151-5, al. 1).
L’obtention, l’utilisation ou la divulgation d’un secret des affaires sera aussi considérée comme illicite lorsque, au moment de l’obtention, de l’utilisation ou de la divulgation du secret, une personne savait, ou aurait dû savoir au regard des circonstances, que ce secret avait été obtenu, directement ou indirectement, d’une autre personne qui l’utilisait ou le divulguait de façon illicite (art. L 151-6).
Le domaine de la protection est donc très large voire même quelque peu imprécis.
Ce régime de protection accueillera toutefois un certain nombre d’exception expressément prévues aux articles L 151-7 à L 151-9 du Code de Commerce :
lle secret des affaires n’est pas opposable lorsque l’obtention, l’utilisation ou la divulgation du secret est requise ou autorisée par le droit de l’Union européenne, les traités ou accords internationaux en vigueur ou le droit national, notamment dans l’exercice des pouvoirs d’enquête, de contrôle, d’autorisation ou de sanction des autorités juridictionnelles ou administratives. (article L 151-7).
A l’occasion d’une instance relative à une atteinte au secret des affaires, le secret n’est pas opposable lorsque son obtention, son utilisation ou sa divulgation est intervenue :
1° Pour exercer le droit à la liberté d’expression et de communication, y compris le respect de la liberté de la presse, et à la liberté d’information telle que proclamée dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;
2° Pour révéler, dans le but de protéger l’intérêt général et de bonne foi, une activité illégale, une faute ou un comportement répréhensible, y compris lors de l’exercice du droit d’alerte défini à l’article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ;
3° Pour la protection d’un intérêt légitime reconnu par le droit de l’Union européenne ou le droit national (article L 151-8).
A l’occasion d’une instance relative à une atteinte au secret des affaires, le secret n’est pas opposable lorsque :
1° L’obtention du secret des affaires est intervenue dans le cadre de l’exercice du droit à l’information et à la consultation des salariés ou de leurs représentants ;
2° La divulgation du secret des affaires par des salariés à leurs représentants est intervenue dans le cadre de l’exercice légitime par ces derniers de leurs fonctions, pour autant que cette divulgation ait été nécessaire à cet exercice. (article L 151-9 du Code de commerce).
3/ La création d’un véritable régime de protection du secret des affaires
Jusqu’alors, la notion de secret des affaires n’était pas définie par le droit français et sa protection faisait l’objet de dispositions diverses.
Cette protection relevait donc essentiellement des règles de droit commun de la responsabilité civile délictuelle ou contractuelle s’il existe une clause de confidentialité.
Désormais, cette protection est expressément organisée par les articles L 152-1 et suivants du Code de commerce aux termes desquels :
« Toute atteinte au secret des affaires telle que prévue aux articles L. 151-4 à L. 151-6 engage la responsabilité civile de son auteur ».
Cette action en responsabilité civile est encadrée par un délai de prescription quinquennale.
L’article L 152-3 du Code de commerce prévoit la possibilité pour le juge de prononcer un certain nombre de mesures préventives, à savoir :
« 1° Interdire la réalisation ou la poursuite des actes d’utilisation ou de divulgation d’un secret des affaires ;
2° Interdire les actes de production, d’offre, de mise sur le marché ou d’utilisation des produits résultant de manière significative de l’atteinte au secret des affaires ou l’importation, l’exportation ou le stockage de tels produits à ces fins ;
3° Ordonner la destruction totale ou partielle de tout document, objet, matériau, substance ou fichier numérique contenant le secret des affaires concerné ou dont il peut être déduit ou, selon le cas, ordonner leur remise totale ou partielle au demandeur.
La juridiction peut également ordonner que les produits résultant de manière significative de l’atteinte au secret des affaires soient rappelés des circuits commerciaux, écartés définitivement de ces circuits, modifiés afin de supprimer l’atteinte au secret des affaires, détruits ou, selon le cas, confisqués au profit de la partie lésée ».
L’auteur de l’atteinte pourra demander au juge d’ordonner, sous certaines conditions, à la place des mesures précitées, le versement d’une indemnité à la victime.
Les modalités d’évaluation du préjudice de la victime sont prévues à l’article L 152-6 du Code de commerce :
« pour fixer les dommages et intérêts dus en réparation du préjudice effectivement subi, la juridiction prend en considération distinctement :
1° Les conséquences économiques négatives de l’atteinte au secret des affaires, dont le manque à gagner et la perte subie par la partie lésée, y compris la perte de chance ;
2° Le préjudice moral causé à la partie lésée ;
3° Les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte au secret des affaires, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l’atteinte »
Incontestablement, cette loi, en ce qu’elle vient définir pour la première fois un régime de protection du secret des affaires, jusque là insinué dans des dispositions éparses de différents codes, constitue une avancée.
Espérons toutefois que le décret d’application apporte certaines précisions à la loi du 30 juillet 2018 dont la portée paraît, à certains égards, trop générale.
En effet, il est possible de s’interroger sur l’identité de la personne auteure de l’atteinte au secret visée par le dispositif : s’agit il uniquement de la « personne » qui ne pouvait ignorer qu’il existait une telle atteinte ou aussi celle qui l’ignorait mais qui a obtenu, utilisé ou divulgué le secret, après l’avoir obtenu d’une personne qui connaissait le caractère illicite de son obtention ?
Dimitri LECUYER et Hélène BERNARD