L’Union Européenne a décidé d’améliorer le cadre juridique applicable au droit d’auteur sur internet, le dernier texte adopté datant de 2001.
Il était en effet indispensable de moderniser les dispositions actuelles avec l’avènement d’acteurs qui n’existaient pas en 2000 tels que Google, YouTube, Netflix et autres réseaux sociaux.
La Commission Européenne a ainsi introduit un projet de directive le 14 septembre 2016 ayant pour objectif d’adapter le droit d’auteur à l’ère du numérique et aux nouveaux modes de consommation des œuvres protégées.
Ce projet s’inscrit dans la stratégie pour le marché unique numérique adopté par la Commission Européenne en mai 2015 qui soulignait la nécessité de : « gommer les différentes entre les régimes nationaux en matière de droit d’auteur et de permettre aux utilisateurs de toute l’UE de bénéficier d’un accès en ligne aux œuvres élargi » .
Cette réforme prévoit :
- La création de trois nouvelles exceptions au droit d’auteur ;
- L’adoption de mesures permettant de faciliter la création de licences transfrontalières sur les contenus protégés ;
- La création d’un droit voisin pour les éditeurs de presse lors de la publication de leurs articles en ligne ;
- La création de règles spécifiques pour les plateformes de partage de contenus afin de respecter le droit d’auteur des créateurs.
Cette réforme vient renforcer la protection des auteurs et de leurs œuvres, leurs droits d’auteur ayant été mis à mal par le développement des réseaux sociaux et des plateformes de diffusion de contenus en ligne.
1. LES TROIS NOUVELLES EXCEPTIONS AU DROIT D’AUTEUR
Le projet de directive prévoit tout d’abord, aux articles 3 à 6, de nouvelles exceptions au droit d’auteur.
Il s’agit des exceptions dites de « Fouille de textes et de données », « d’utilisation d’œuvres dans le cadre de l’enseignement » et de « préservation du patrimoine culturel ».
En premier lieu, est introduite une exception au droit d’auteur concernant les reproductions et extractions effectuées par des organismes de recherche, en vue de procéder à une fouille de textes et de données sur des œuvres auxquelles ces organismes ont légitimement accès à des fins de recherche scientifique.
Ensuite, le texte vient élargir l’exception de pédagogie prévue à l’article L.122-5 3°e) du Code de la propriété intellectuelle ne visant que les extraits d’œuvres, à l’exclusion des œuvres conçues à des fins pédagogiques, des partitions de musique et des œuvres réalisées pour une édition numérique de l’écrit.
Il prévoit ainsi une nouvelle exception au droit d’auteur permettant l’utilisation numérique des œuvres à seule fin d’illustration dans le cadre de l’enseignement, dans la mesure justifiée par l’objectif non commercial à atteindre.
Cette exception est conditionnée à la réunion de deux éléments :
- L’utilisation des œuvres dans les locaux d’un établissement d’enseignement ou au moyen d’un réseau électronique sécurisé accessible uniquement aux élèves, aux étudiants et au personnel enseignant de cet établissement ;
- L’indication de la source, notamment le nom de l’auteur, sauf si cela s’avère impossible.
Enfin, afin de préserver le patrimoine culturel, une exception au droit d’auteur doit désormais permettre aux institutions de gestion du patrimoine culturel de réaliser des copies de toute œuvre qui se trouve en permanence dans leurs collections, quel que soit sa forme ou son support, à la seule fin de la préservation de ces œuvres et dans la mesure nécessaire à cette préservation.
2. L’AMELIORATION DE L’ACCES TRANSFRONTALIER AU CONTENU PROTEGE PAR LE DROIT D’AUTEUR
Le but ici est de permettre aux institutions de gestion de patrimoine culturel (bibliothèques, musées, archives…) de bénéficier d’un cadre clair pour la numérisation et la diffusion d’œuvres indisponibles dans le commerce.
La directive prévoit ainsi un mécanisme permettant de faciliter la conclusion d’un contrat de licence par un organisme de gestion collective avec une institution de gestion de patrimoine concernant les œuvres qui ne sont pas dans le commerce.
Par ailleurs, le texte prévoit que les Etats facilitent la négociation des accords concernant la mise à disposition des œuvres audiovisuelles sur les plateformes de vidéo à la demande telles que Netflix ou Canal Play.
Pour ce faire, chaque Etat doit désigner un organisme impartial pouvant prêter main forte aux négociations portant sur les licences entre les titulaires de droits et ces plateformes de vidéo à la demande.
3. LE DROIT VOISIN DES EDITEURS DE PRESSE
Il s’agit ici de l’un des points les plus controversés du projet de directive, les plateformes en ligne et les internautes prônant le respect de la liberté d’expression et les auteurs souhaitant défendre leurs droits.
La Commission Européenne souhaite créer un nouveau droit voisin au bénéfice des éditeurs de presse afin qu’ils puissent percevoir une rémunération pour l’utilisation de leur contenu en ligne par une plateforme de partage.
La rémunération devra être déterminée au moyen d’un accord dans chaque Etat membre entre les éditeurs de presse et les plateformes de partage.
Les éditeurs de presse pourraient se prévaloir de leur droit voisin pendant une durée de 5 ans à compter de la publication du texte.
En d’autres termes, pour toute publication d’un article du journal Le Monde sur Google Actualités ou sur un réseau social, le groupe de presse se ferait rémunérer par Google pendant une durée de 5 ans du seul fait de la publication de l’article sur leur plateforme.
Les modalités pratiques de cette rémunération seront fixées entre chaque intervenant du secteur.
4. L’UTILISATION DES CONTENUS PROTEGES PAR LES PLATEFORMES DE PARTAGE
La Commission Européenne souhaite renforcer le rôle des plateformes de partage telles que Facebook ou Youtube, qui stockent et donnent accès à un grand nombre d’œuvre protégées par le droit d’auteur et dont le contenu est diffusé et/ou consulté par les utilisateurs de ces plateformes.
Le mécanisme consiste ainsi à :
- Conclure des accords avec les titulaires de droits portant sur l’utilisation des œuvres sur ces plateformes de partage ;
- Mettre en place un dispositif technique qui permettrait la reconnaissance des contenus et empêcherait la mise à disposition sur leur plateforme de contenus protégés par le droit d’auteur ;
- Informer régulièrement les auteurs sur le fonctionnement de ce mécanisme et prévoir un dispositif de plainte à destination des utilisateurs.
En clair, la SACEM ou tout autre organisme de gestion collective pourrait passer un accord avec Youtube qui prévoirait une rémunération des auteurs en cas de chargement ou de visualisation de leurs œuvres sur Youtube par un utilisateur. Il s’agit de permettre une nouvelle forme de rémunération des auteurs lors de la diffusion de leurs œuvres sur les plateformes. Youtube devrait alors mettre en place un filtrage des contenus publiés afin de détecter les œuvres protégées par la SACEM pour soit verser une rémunération ou bloquer la publication du contenu.
Il convient de s’interroger sur la mise en place pratique de ce filtrage par les plateformes qui jusqu’à présent effectuent un contrôle à posteriori du contenu et procèdent à son retrait dès qu’il lui est signalé comme manifestement illicite.
En effet, ces dispositions prévues à l’article 13 de la directive viennent remettre en cause le statut d’hébergeur de la directive commerce électronique derrière lequel ces plateformes se retranchent et qui leur interdit de mettre en place un filtrage généralisé d’internet.
5. UNE ADOPTION DU TEXTE AVANT LES PROCHAINES ELECTIONS EUROPEENNES ?
Ce texte a d’abord été rejeté par le Parlement européen le 5 juillet 2018 notamment en raison de ces dispositions concernant le droit voisin des éditeurs de presse.
L’article 13 concernant l’implémentation de dispositifs de filtrage des plateformes pour empêcher la publication de contenus contrefaisants a aussi fait l’objet de difficiles tractations puisqu’il met à la charge des plateformes une véritable obligation de contrôle a priori des contenus.
Après d’intenses négociations et une importante campagne de lobbying par les organes de presse et les plateformes de partage de contenus, le projet de directive a finalement été adopté le 12 septembre 2018 par le Parlement européen.
Les discussions du trilogue (Parlement / Conseil / Commission) peuvent maintenant débuter afin de parvenir à une adoption définitive du projet de réforme avant les prochaines élections européennes en mai 2019.
La pression sur les instances de l’Union Européenne reste toutefois très importante puisqu’il y a quelques semaines, Google a menacé de fermer son service Google Actualités si le projet de réforme était adopté en l’état. YouTube a de son côté lancé une campagne de sensibilisation très critique vis-à-vis de l’article 13 de cette directive.
Il convient de noter qu’une fois adoptée, cette directive devra faire l’objet de transposition dans chaque Etat Membre.
Ce projet de directive, s’il impacte de façon non négligeable les plateformes de diffusion de contenus en ligne, procède à un rééquilibrage des droits des auteurs sans qui aucun contenu ne pourrait être partagé.
Edouard Verbecq
Avocat
Amélie Capon
Avocat Associé