Une marque, en tant que bien immatériel servant à distinguer les produits ou services d’une entreprise de ceux de ses concurrents, possède bien souvent une forte valeur nominale. Elle peut donc faire l’objet d’une exploitation variée, et notamment être cédée.
Si elle est le plus souvent réalisée à titre onéreux, la cession d’une marque peut cependant être opérée à titre gratuit, n’intéressant dès lors, le plus souvent, que le régime du droit fiscal.
Pourtant, le tribunal judiciaire de Paris est venu apporter des précisions quant à la validité d’une cession gratuite de marque apportant un nouvel éclairage aux praticiens.
Mais tout d’abord, un petit rappel des faits :
Deux inventeurs ont conçu des antennes permettant la réception des données de balises placées dans les colliers de chiens de chasse et ont, en ce sens, procédé, ensemble, au dépôt de la marque semi-figurative de l’Union européenne « Supra » le 4 août 2014.
Les produits vendus sous cette marque étaient commercialisés par deux sociétés, dont les inventeurs étaient tous deux associés. Quelques temps plus tard, l’un des co-déposant quitte la première société, tandis que la seconde était liquidée.
Ces produits étaient également commercialisés par une société tierce dans laquelle le co-déposant précité était seul associé et gérant.
Par acte, en date du 13 juillet 2015, la marque « Supra » a été cédée à cette société tierce.
C’est alors que le 28 janvier 2018, le second co-déposant, a dénoncé par courrier la cession de la marque « Supra » avant d’assigner, le 7 novembre 2018, son ancien associé et la société, cessionnaire de la marque, notamment en nullité du contrat de cession datant du 13 juillet 2015.
Pour obtenir la nullité du contrat de cession de marque, le second co-déposant se fonde sur les dispositions de l’article 931 du Code civil selon lesquelles : « tous actes portant donation entre vifs seront passés devant notaires », à peine de nullité.
Le co-déposant soutient ainsi que le contrat de cession de marque à titre gratuit serait nul car cet acte s’analyserait en une donation, qui doit être consentie impérativement par acte authentique.
A défaut, la nullité de l’acte est encourue.
Dans sa décision du 8 février 2022, le Tribunal judiciaire de Paris accueille la demande de nullité du contrat de cession de marque intervenu le 13 juillet 2015, estimant que faute d’avoir été conclu par acte authentique, il ne peut être valable.
Les juges prennent le soin de préciser que le contrat de cession de marque qui leur était soumis ne constituait ni un don manuel en raison de la nature immatérielle de la marque insusceptibles de remise physique, ni une donation déguisée ou indirecte dont les conditions de forme suivent celles de l’acte dont elles empruntent l’apparence, puisque la gratuité était indiquée textuellement dans le contrat.
Dès lors, aucune de ces deux dérogations au formalisme strict de l’article 931 du Code civil ne pouvait en l’espèce s’appliquer.
L’acte ayant été passé sous seing privé est donc nul.
Le tribunal ajoute que le Code de la propriété intellectuelle ne saurait déroger à cette condition formelle attachée au régime des donations .
Force est de constater que ce jugement impose désormais aux praticiens du droit de la propriété intellectuelle d’être particulièrement vigilants dans la rédaction de leurs contrats de cessions de marques à titre gratuit.
Une contrepartie financière symbolique suffirait-elle à écarter le régime commun des donations ? Ou chaque cession à titre gratuit devra-t-elle être passée devant notaire afin d’éviter tout risque d’encourir la nullité de l’acte ?
Il n’en reste que cette décision rendue en première instance est susceptible d’appel, ce qui permettra peut-être d’obtenir un éclaircissement des conditions requises à la validité d’une cession de marque à titre gratuit.
TJ Paris, 8 févr. 2022, n° 19/14142. Lire en ligne : https://www.doctrine.fr/d/TJ/Paris/...
Tristan DEGUINGAND, Juriste Stagiaire Cabinet Alter-Via Avocats.
Amélie CAPON, Avocat associé spécialiste en droit de la propriété intellectuelle.