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Intérêts et dangers de la transaction amiable en matière d’indemnisation

L’évolution récente de la jurisprudence en matière de transaction semble contredire l’adage multiséculaire selon lequel « mieux vaut un mauvais accord qu’un bon procès ».

Il existe plusieurs manières, pour une victime d’un accident, d’obtenir indemnisation. Celle-ci peut être obtenue à l’issue d’une procédure judiciaire ou grâce à une indemnisation amiable.

Cette seconde voie est d’ailleurs particulièrement favorisée par la loi relative aux accidents de la circulation, dite « Loi Badinter » qui oblige l’assureur du véhicule impliqué dans l’accident d’adresser à la victime une offre d’indemnisation dans un délai contraint.

Les victimes, non avisées et très souvent non accompagnées d’un Avocat, y voient une preuve de bonne volonté de l’assureur et sont tentées de signer, un peu trop rapidement, la transaction proposée.

Or, il s’agit d’un acte grave dont la remise en question est particulièrement difficile.

L’évolution récente de la Cour de Cassation aboutit à traiter plus durement la situation de la victime qui a régularisé, souvent seule, une indemnisation amiable par rapport à celle, pourtant assistée d’un Avocat, qui a obtenu son indemnisation à l’issue d’une procédure judiciaire.

En effet, dans cette seconde hypothèse, lorsque le jugement n’a pas indemnisé l’intégralité des préjudices de la victime, celle-ci demeure libre de saisir à nouveau la juridiction d’une demande de réparation des préjudices non indemnisés, même s’ils préexistaient, dès lors qu’elle agit dans le délai de prescription. Il a ainsi été admis la possibilité de saisir à nouveau le juge afin de réclamer l’indemnisation des frais d’adaptation du logement au handicap de la victime, en l’absence même d’aggravation de son état de santé (Cass. 2ème civ., 5 janvier 1994, n°92-12185).

Cette souplesse, contre toute attente, est refusée aux victimes qui régularisent une transaction alors même qu’elles sont rarement assistées d’un Avocat…

C’est que cet acte est un contrat particulier qui a pour objet de mettre fin à un litige.

Elle comprend donc une renonciation au droit d’introduire une action en justice ayant le même objet que le contrat régularisé (article 2052 du Code Civil).

En principe donc, cette renonciation ne devrait valoir qu’à l’égard des préjudices expressément indemnisés par la transaction.

Il n’est pas rare en effet de transiger sur les postes de préjudice connus et de réserver, par exemple, les préjudices professionnels (incidence professionnelles, pertes de revenus…) qui nécessitent une évolution situationnelle plus longue).

En ce cas, la victime, même si elle a régularisé une transaction, pourra agir en justice, si l’indemnisation amiable n’avançait plus, pour obtenir indemnisation des préjudices expressément exclus de la transaction.

Le danger réside dans les transactions qui, sans exclure de préjudices, ne les évoquent même pas et comprennent une clause de renonciation générale de la victime à toute action.

Cette clause, dangereuse, est validée par la jurisprudence et interdit à la victime d’agir pour obtenir indemnisation de postes de préjudices qui n’auraient pourtant pas été indemnisés par la transaction régularisée.

La Cour de Cassation estime que le préjudice, même non indemnisé, qui a été discuté avant la signature de la transaction ne peut plus être réclamé par la victime.

La transaction régularisée lui ferme la possibilité de réclamer indemnisation pour ce préjudice, alors même qu’il est établi qu’il existe et n’a pas fait l’objet d’une indemnisation.

Ce serait l’effet de la renonciation à recours.

Elle a rendu cette décision dans un arrêt récent du 16 janvier 2020 où il n’était pas contesté que la transaction régularisée avait laissé de côté des postes importants (frais de logement adapté, frais médicaux).

La Cour, toutefois, a relevé que l’existence de ces préjudices avait été constatée dans le rapport d’expertise établi en amont de la transaction.

La Cour a donc estimé que la victime, en régularisant la transaction, avait sciemment renoncé à obtenir indemnisation pour ces postes de préjudices et n’était dès lors plus recevable à les réclamer.

Cette décision est particulièrement sévère surtout qu’elle a vocation à s’appliquer à une matière où les victimes sont rarement accompagnées d’un Avocat et dans une situation de vulnérabilité majeure par rapport à l’assureur, vulnérabilité provoquée par de nombreux facteurs :

  • Inégalité de connaissances (les sommes proposées peuvent paraitre importantes à une victime non avisée alors qu’elles sont loin de refléter la réalité de leur droit à réparation) ;
  • Inégalité économique (la victime se trouve souvent en difficultés financières, l’accident ayant provoqué un arrêt de travail ou une perte de gains)
  • Défaut de méfiance à l’égard d’un assureur offrant une indemnisation – alors qu’en réalité, il y est contraint par la loi -.

Deux planches de salut existent néanmoins pour la victime qui, non accompagnée, aurait signé trop rapidement une transaction incomplète :

  • La 1ère peut être résider dans le fait que le préjudice non indemnisé n’aurait pas été évoqué en amont de la transaction.

Malheureusement, cette situation est rare. En effet et il n’y a pas là à mon sens de coïncidence, il s’avère au contraire que les médecins de Compagnie d’assurance se montrent souvent particulièrement exhaustifs dans leur rapport quant aux préjudices évoqués par la victime, sans qu’on ne les retrouve dans l’offre transactionnelle présentée à la Victime.

Sauf pour celle-ci d’être accompagnée d’un Avocat chargé de l’éveiller à ce risque, la victime risque, en signant l’acte, de se priver de la possibilité d’obtenir indemnisation pour toute une série de dommages qu’elle aura ainsi prétendument abandonnés…

  • La deuxième planche de salut consiste à démontrer que le poste de préjudice non indemnisé constituerait un élément essentiel du préjudice subi par la victime.

En pareille hypothèse, il pourrait être obtenu du Juge qu’il considère que la transaction régularisée par la victime (et ne comprenant pas d’offre relative à un poste de préjudice pourtant essentiel) ne la rende pas irrecevable à agir en indemnisation de ce préjudice, la renonciation à intenter une action ne pouvant être étendue au-delà de la transaction régularisée.

Cela a déjà été jugé par exemple pour une transaction relative aux frais funéraires subis par la victime indirecte d’un accident.

La Cour a estimé qu’elle n’avait pas renoncé à demander réparation de son préjudice économique malgré le fait qu’elle avait déclaré, dans le cadre de la transaction régularisée, renoncer à toute action présente ou future pour les dommages dont il s’agit (1ère Chambre Civile, 18 septembre 2002, n°00-14773).

La Cour a jugé que cette transaction limitée à un préjudice précis, ne pouvait s’étendre à un préjudice dont l’objet est différent.

Enfin, il faut ajouter qu’une transaction ne prive jamais la possibilité pour la victime de réclamer indemnisation en cas d’aggravation de son préjudice, aggravation qui peut exister sans que son état de santé n’ait évolué mais en raison d’une évolution de sa situation (décès d’un proche aidant, naissance d’un enfant nécessitant un besoin en aide humaine plus important….).

On voit toutefois les très lourds obstacles qui vont se dresser devant une victime, mal avisée, non assistée et en état de vulnérabilité qui signerait, peut-être un peu trop rapidement, une offre transactionnelle présentée par un assureur qui, sous couvert d’obligations légales, se présente comme un sauveur et inspire une confiance que, bien souvent, il ne mérite pas.

Cette actualité illustre une nouvelle fois la plus-value apportée par un Avocat spécialiste, même (et surtout) dans le cadre d’une indemnisation transactionnelle, où il est alors le seul à pouvoir garantir à son client que l’indemnisation négociée est intégrale et qu’il est rempli de ses droits.

Catherine POUZOL
Avocat spécialiste en droit du dommage corporel