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Bébé secoué : les assureurs d’assistantes maternelles enfin contraints d’assumer

Le 17 septembre 2021, le Tribunal Judiciaire d’Amiens a eu l’occasion de trancher et de contraindre l’assureur responsabilité civile professionnelle d’une assistante maternelle d’assumer les conséquences de son acte de violences.

Malgré le caractère volontaire de cet acte, l’assureur ne peut se prévaloir de l’exclusion légale prévue en cas de faute intentionnelle commise par l’assuré pour décliner sa garantie. Il défaille en effet à prouver que l’assistante maternelle a non seulement voulu l’acte mais, en plus, a voulu causer le dommage tel qu’il est survenu.

L’indemnisation des conséquences de cet acte pèse donc sur l’assureur responsabilité civile professionnelle de l’assistante maternelle et non sur la solidarité nationale, ce qui est éthiquement juste et juridiquement fondé.

Le contexte est, on l’a compris, dramatique.

Une toute petite fille de 8 mois, qu’on appellera Ines, est, comme tous les jours, confiée à son assistante maternelle chez qui elle connaîtra un très grave malaise dans l’après-midi.

L’expertise médico-légale réalisée pendant l’enquête démontrera que les graves lésions présentées par l’enfant sont caractéristiques du syndrome du bébé secoué et n’ont pu être provoquées que par des actes de violences volontaires.

Après avoir nié toute maltraitance, l’assistante maternelle finira, au cours de sa garde à vue, par reconnaître avoir secoué l’enfant.

Après sa condamnation au pénal, les parents se rapprochent de l’assureur de l’assistante maternelle afin d’obtenir qu’il garantisse cet acte, qu’il verse les dommages et intérêts provisionnels alloués par la Juridiction et indemnise l’intégralité des dommages occasionnés par cet acte de violences.

En réponse, l’assureur croit pouvoir opposer l’exclusion légale prévue dans le Code des Assurances* en vertu de laquelle « l’assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré  ».

Cette clause d’exclusion, fréquemment invoquée par les assureurs, est pourtant clairement circonscrite par une jurisprudence aujourd’hui solidement établie.

Elle ne peut recevoir application que si l’assuré a non seulement voulu causer l’acte à l’origine du dommage mais qu’il a, en outre, voulu occasionner le dommage survenu.

Il appartient donc à l’assureur, pour se prévaloir de cette clause d’exclusion, de démontrer que son assuré, en plus d’avoir agi volontairement, a eu l’intention de provoquer le dommage tel qu’il est survenu.

Cette jurisprudence s’est illustrée dans de très nombreux domaines.

Ainsi et par exemple, le fait qu’un assuré ait volontairement provoqué une collision ne permet pas à l’assureur de se défausser de sa garantie, faute pour lui de démontrer que l’assuré a également recherché les conséquences de cette collision (pollution par le produit stocké dans la citerne).

De même, le fait que l’assuré ait volontairement poussé une personne vers l’escalier d’un immeuble ne suffit pas à caractériser une faute intentionnelle exclusive de garantie qui implique la volonté de causer le dommage tel qu’il est survenu.

La jurisprudence a d’ailleurs rappelé que la condamnation pénale de l’assuré pour des faits de violences volontaires est insuffisante à établir la recherche du dommage et ne peut donc suffire à exclure la garantie de l’assureur.

  • Si, à notre connaissance, cette solution jurisprudentielle n’avait encore jamais eu l’occasion d’être appliquée au sujet d’un bébé secoué par une assistante maternelle, il apparaît que le Tribunal Judiciaire d’Amiens n’a, en réalité, procédé qu’à une application particulière de cette solution jurisprudentielle devenue classique.

En effet et même s’il est évident que celui qui secoue un bébé se rend coupable de violences volontaires, l’acte étant particulièrement violent, cette qualification pénale est insuffisante à établir que l’assistante maternelle a voulu provoquer les graves lésions entraînées par son comportement.

En synthèse, si l’acte de violence est volontaire, les conséquences dommageables n’ont, pour autant, pas été intentionnellement recherchées.

En conséquence, l’assureur ne démontre pas que son assuré a volontairement provoqué le dommage tel qu’il est survenu et ne peut donc se prévaloir de l’exclusion légale de faute intentionnelle.

L’intérêt de cette décision est surtout d’ordre éthique.

En effet, confrontés à un tel drame, les parents et l’enfant peuvent parfaitement orienter leurs demandes indemnitaires vers la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions (CIVI).

Dans ce cas, toutefois, l’indemnisation est versée par la solidarité nationale (au prix d’une procédure complexifiée par des délais contraignants).

Il est somme toute assez naturel et juste que les dommages provoqués par une professionnelle de la petite enfance soient garantis par l’assureur auprès de qui elle a souscrit et payé une assurance au titre de sa responsabilité civile professionnelle.

Catherine POUZOL
Avocat associé
Spécialiste en droit du dommage corporel